Voies Off : 3.300 festivaliers pour une troisième

Avec un texte d'une force rare, Elsa Solal livre un travail militant.; Marianne Epin dans «Hannah K» : le théâtre sur le théâtre militant

Dimanche soir, le rideau s'est refermé sur la 3e édition de Voies Off. Pendant cinq jours, le festival aura accueilli environ 3.300 spectateurs, avec une qualité de spectacle d'un niveau toujours excellent.
Comme « Paroles de femmes », l'an passé, la pièce « L'autre guerre » restera, à n'en pas douter, l'un des moments forts de l'édition 2007 de Voies Off, un festival qui a la particularité de susciter, parmi les spectateurs, des émotions contrastés, le faisant passer, presque sans temps mort, du rire aux larmes, de l'émerveillement à l'effroi.
« L'autre guerre », d'Elsa Solal, présentée à la Ferme de Beauregard, c'est celle dont sont victimes les femmes, celles dont la vie, jusque-là douce, sereine et remplie d'amour, bascule, peu à peu, presque insidieusement, dans les cris, puis les gifles, les coups, les bleus au corps autant qu'à l'âme. La victime a honte d'être victime. Les voisins entendent mais feignent de ne rien savoir.
L'homme a tous les droits parce que c'est SA femme, au même titre que SA voiture ou SA maison.
Seule sur scène, avec juste quelques accessoires, la comédienne se fait le porte-voix de toutes celles qui n'ont pas osé, que la peur a interdit de franchir les portes d'un commissariat pendant des mois, des années, voire une vie. « L'autre guerre » est une pièce militante, parce que, pour Elsa Solal, la femme battue vit peut-être là, tout près de soi, sans qu'on le sache ou, pire, qu'on cherche à le savoir.
Théâtre militant
Ainsi, pendant cinq belles journées - soit un jour de plus que l'an passé -, avec quatorze spectacles au programme, du théâtre aux marionnettes en passant par la danse et la chanson, Voies Off a donné à voir, à écouter, à rêver et à réfléchir.
Le théâtre comme instrument militant, comme rempart contre la barbarie, c'était d'ailleurs le sujet central de la pièce « Hanna K » jouée - avec beaucoup de sensibilité - par Marianne Epin dans le beau cadre de l'abbaye Saint-Léger.
Au cœur du ghetto de Varsovie, Hannah et ses amis comédiens présentent des œuvres dont les personnages sont juifs.
L'art dramatique se fait acte de résistance à la folie meurtrière des nazis.
Le caractère militant de Voies Off, son président Jean-Pierre Pouget le revendique d'ailleurs, mais « au sens émotionnel » plus que politique.
3.300 spectateurs
Dimanche soir, à l'heure du baisser de rideau sur cette 3e édition - après l'étonnant, magique et poétique final du jongleur et de la violoncelliste de « Convergence 1.0 » -, Jean-Pierre Pouget en dressait déjà un bilan positif.
« Maintenant, nous avons des gens qui nous suivent. Nous devrions être aux alentours de 3.300 spectateurs. Nous avons même refusé du monde sur certains spectacles. Le retour du public est excellent et les compagnies sont également très satisfaites. Ce qui est important, également, c'est d'avoir des scolaires en tout public. Cela apporte une énergie particulière lors des représentations » note le président.
Pendant cinq jours, les huit lieux du festival ont notamment accueilli des collégiens de Saint-Just et Lamartine, de Braine et Tergnier et des lycéens de Gérard-de-Nerval. C'est le public de demain qui se construit.
Philippe Robin
le 22/05/07

Echappées d'elles : le retour

Éloïse Brunet et Agnès Duvivier : simplicité et informalité au Petit Bouffon.


Au milieu d'une des chansons d'« Echappées d'elles », les mots « Je me fous du prix Goncourt » font tilt. Déjà entendus, et récemment. Où ? Dans leur loge, les artistes donnent le nom du compositeur : Michèle Bernard. Bien sûr ! Elle l'avait chanté la veille, à Saint Léger. Ces confusions font partie intégrale du concentré proposé par Voies Off sur quatre jours, et qui exige une présence d'esprit, une gymnastique pour passer du tragique au comique, du parlé au chanté.
Leur spectacle avait été si bien accueilli pendant l'édition 2006 du festival que Eloise Brunet et Agnès Duvivier ont été invitées à revenir. Comme l'expliquait leur complice dans la salle, Paul Fructus, elles n'ont pas voulu se répéter, et ont revu le contenu. C'était donc la première d'un nouveau spectacle, si nouveau qu'il n'a pas encore de titre. Paul proposait « Autour d'Echappées d'elles ». Chansons, textes, et commentaires, toujours dans le registre de la simplicité et de l'informalité.
Les mêmes causes ayant les mêmes effets, le public a fait honneur aux artistes, Agnès avec son violoncelle et sa contrebasse, sans effet de manche, Eloise au jeu plus étudié, une différence qui permettait à chacun dans la salle d'avoir sa préférée.
Denis Mahaffey
le 22/05/07

La danse en noir et blanc

Les danseurs de l’Atelier de danse face aux applaudissements de la salle.
Le dédale logistique de Voies Off, tant de scènes à investir ou construire, tant de matériel à installer, rend remarquable le fait que, à de petits retards près, les spectacles aient pu se suivre ou s’emboîter sans peine. Seul jusqu’ici la mise au point du plan d’éclairage, effectivement complexe, a bien retardé le début de la soirée de danse. Son dysfonctionnement a ensuite entraîné le recommencement de la deuxième partie.
Le spectacle a commencé avec l’Atelier danse du Lycée Nerval. Habillés en noir, ses membres ont fait un beau travail d’ensemble pour évoquer, en danse et en paroles, une catastrophe d’origine humaine, qui a détruit la civilisation sans éliminer la mauvaise habitude des survivants à trouver et à punir un bouc émissaire.
Dans « Doubles », qui a suivi, deux femmes et deux hommes de la compagnie Hapax, en blanc éclatant, ont créé une série d’instantanés, ou de duos plus longs, pour explorer la double nature humaine, notamment lorsque les deux hommes mènent un combat qui est en même temps une reconnaissance par chacun de la splendeur de l’autre.
La ressemblance de style entre les lycéens et les professionnels s’explique par l’implication de Pascal Giordano, intervenant auprès de l’Atelier, et directeur de Hapax.
Denis Mahaffey le 21/05/07

A la recherche de repères perdus: un spectacle dérangeant en ouverture de Voies Off


Ceux qui s'attendaient à une série de petits spectacles sympas auront compris, dès son début, que Voies Off entend déranger. Dans leur « Cirque des Mirages » Yanowsky et Parker, chanteur et pianiste, délogent tous les repères de la bienséance, de la foi, du confort d'esprit, dans des chansons que la haute tenue du texte protège de la vulgarité ou de la facilité. « Il n'y a pas de création sans transgression » selon Yanowsky. Leurs chansons nous atteignent à un niveau ou nos repères habituels ne fonctionnent plus, ou mal. Rien n'est constant : Yanowsky regarde la salle avec candeur, puis devient Belzébuth, hurlant sa nature diabolique. En faisant rire, ils minent encore les défenses du public. Grand, en mouvement perpétuel, ses deux mains participant à la performance, parfois en duo, parfois en solo, Yanowsky bouscule toutes les parallèles. Nosferatu, maître des cérémonies de « Cabaret », Brel : il les évoque, pour les retourner ensuite comme un gant. L'éclairage allié à l'actualité font même que, sur son long corps, Yanowsky semble par moments avoir posé la tête du nouveau Président de la République ! Fred Parker au piano, le regard impassible, caresse ou pilonne son clavier, ses accompagnements toujours obsédants, comme s'il jouait à l'intérieur de nos têtes. Ce spectacle renversant ne se prive pas de dire que la mort nous attend, parfois impatiemment. Pour résumer les facettes sensuelles et sombres de ce cirque, il suffit de citer la fin d'une des chansons : « Je jouis… dans le néant. » Denis Mahaffey le 18/05/07

« Iago » et les 33 critiques de théâtre


Voies Off a réussi à attirer le public jeune, ce qui promet pour l'avenir du théâtre, assuré par cette arrivée de nouveaux fidèles. Cependant, la présence de la « classe Festival », venue du lycée Nerval assister à « Iago » à la Mutualité, avait un sens particulier. Ces élèves de Seconde, avec leur professeur de lettres Marie-Claude Fonteny, avaient à réagir au spectacle en critiques de théâtre. Au lieu de le recevoir passivement, ils devaient formuler leurs opinions, en premier lieu au correspondant de l'Union, ensuite sur le blog du festival. « Iago » du Théâtre Mu présente la tragédie shakespearienne « Othello », réécrite pour la centrer sur le personnage d'Iago. C'est lui qui mène à sa perte le Maure Othello, le convaincant de l'infidélité de sa femme. Il l'étrangle, puis se tue. Simple changement d'angle ? Plus que cela, car les personnages sont représentés par des marionnettes de bouts de bois et tissu, opérées devant nos yeux par deux comédiens, qui jouent. un double Iago. Double par sa duplicité, et jouant avec les autres personnages dans les deux sens du terme. Les jeunes critiques, qui pour beaucoup avaient ici leur première expérience du théâtre d'objets, ont trouvé la pièce « originale », « pleine d'humour » (notamment une épique bagarre entre marionnettes). Ils ont apprécié le rythme, le fait que rien ne soit caché du jeu. Plusieurs entendent lire la pièce originale. Rassurés de voir un spectacle pour adultes, ils aimaient aussi le rappel des poupées et petits soldats de leur enfance. Ils ont pu questionner les deux marionnettistes. En fait, leur rôle les amenait de façon évidente à réfléchir au sens du théâtre, ses choix, ses décors, sa distance de la vie réelle, ce qu'il éclaire de la nature humaine. Ils répéteront l'expérience ce samedi, pour « Mauvaise herbe ». Maintenant, place à leurs critiques : les commentaires se trouvent sur le blog de Voies Off.
Denis Mahaffey le 19/05/07

Entre la morgue et le couvent

« Le tac tac tac des tuyaux de chauffage. » Pour remarquer ce bruit, il faut des oreilles qui manquent terriblement de communication humaine. Par exemple en prison, « entre la morgue et le couvent ». Dans « Le sas », une détenue attend, entre une longue peine et sa sortie redoutée (« Comment payer dans un bistro ? Comment pousser moi-même une porte ? »). Elle revoit les seize ans de brimades, d'amitié restreinte à des relations avec ses codétenues, toujours un peu illégitimes, de privation de son rôle de mère.

Le texte déchirant de Michel Azama, qui reprend des entretiens avec des femmes de la prison de Rennes, a été retrouvé par Angeline Bouille. C'est elle qui dit tous les rôles, en faisant jouer une marionnette de mousse grisâtre.
La question se pose toujours devant les marionnettes : pourquoi ne pas prendre des acteurs, et rendre le jeu littéralement plus humain ? Et la réponse ? Une actrice ne saurait guère assumer ce rôle d'une femme jouet des circonstances, subissant son sort, exposée nue aux regards alors qu'elle frise l'obésité, sans gêner les spectateurs, ou bien les éloigner par une performance de star. Cette loque nous atteint directement par sa vulnérabilité, son état d'objet. Comme son expressivité dans les mains de la marionnettiste est absolue, il peut même venir une envie de réagir, lui montrer de la compassion, lui prendre la main.

Denis Mahaffey le 23/05/07